ÉDOUARD BERNAYS A INVENTÉ LES INFLUENCEURS
Il ne portait pas de baskets à la mode ni ne parlait à la caméra. Pourtant, Édouard Bernays a inventé les influenceurs.
Dans les années 1920, ce neveu de Freud comprenait déjà ce que les algorithmes n’ont fait qu’automatiser : les gens ne suivent pas des idées, ils suivent des gens.
Il appelait ça « la manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes des masses ». Un siècle plus tard, on dit simplement : « créer de l’engagement ».
I. L’homme qui murmurait à l’opinion
Bernays n’était pas publicitaire, il était ingénieur du consentement. Il croyait que les foules ne se gouvernent pas par la raison, mais par le désir. Et que la meilleure manière de les orienter, c’est de leur donner l’impression de choisir.
Il l’a prouvé dès les années 1920 : il a fait fumer les femmes en présentant la cigarette comme un symbole de liberté, transformé un savon en produit citoyen, et fait du bacon un aliment de santé publique.
« Les gens n’achètent pas des produits. Ils adoptent des causes. »
Bernays ne vendait pas du tabac, il vendait une émotion : l’émancipation. Il ne vendait pas du savon, il vendait la pureté. Et c’est exactement ce que font aujourd’hui les influenceurs — sans même le savoir.
II. Des foules aux followers
Le mot “follower” dit tout : nous sommes revenus à l’époque des foules, simplement mieux habillées. Ce que Bernays appelait “le public”, les réseaux sociaux l’ont transformé en “communauté”. Mais la logique reste la même : créer des figures d’identification.
À l’époque, les “leaders d’opinion” étaient des médecins, des journalistes, des stars de cinéma. Aujourd’hui, ce sont des créateurs de contenu, des visages de confiance, des micro-Bernays d’eux-mêmes.
Ils ne disent plus “achetez ceci”. Ils disent : “voici ce que j’aime, ce qui me fait du bien, ce en quoi je crois.” Et derrière ce ton intime, cette transparence apparente, se rejoue la vieille équation du siècle passé :
La persuasion passe par l’émotion. L’émotion passe par la confiance. La confiance se fabrique.
III. Les nouveaux prêtres du désir
Bernays aurait adoré Instagram. Un monde où les individus deviennent eux-mêmes leur propre campagne. Où chaque image, chaque mot, chaque collaboration raconte une histoire calibrée pour séduire, rassurer, rallier.
Ce n’est plus la propagande des États, c’est la propagande du quotidien : une persuasion douce, diffusée à travers la chaleur d’un visage, la sincérité d’une voix, la mise en scène d’une vie “ordinaire”.
Les marques ont compris la leçon : il ne faut plus parler au consommateur, il faut parler comme lui. Et surtout : le faire parler à ta place.
IV. Le vernis de la sincérité
Le mot magique d’aujourd’hui, c’est “authenticité”. Mais l’authenticité est devenue une stratégie. On s’expose, on se confie, on se montre vulnérable — parce que la vulnérabilité crée de la proximité, et la proximité, de l’influence.
« La meilleure propagande est celle que personne ne reconnaît comme telle. » — Édouard Bernays
Ce qui a changé, c’est la forme. Avant, on manipulait depuis les bureaux d’une agence. Aujourd’hui, on s’auto-manipule depuis son salon. L’émotion est devenue un outil de marketing, et le “je” un levier économique.
V. Et maintenant ?
Ce texte n’est pas une condamnation. C’est un miroir. Ce que Bernays a conçu pour orienter les masses, nous l’avons intégré à notre culture. Nous vivons dans un monde où l’influence est devenue naturelle, presque nécessaire.
Mais on peut choisir de la rendre consciente. De se demander : pourquoi j’aime ce que j’aime ? pourquoi je partage ce que je partage ?
Reprendre la main sur nos émotions, c’est le premier acte de résistance douce. Parce qu’à la fin, la vraie liberté n’est pas de refuser l’influence. C’est de savoir quand elle agit sur nous.
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