Le terme « charia » occupe une place centrale dans les débats contemporains, qu’ils soient politiques, médiatiques ou religieux. Souvent réduite à sa dimension pénale dans l’imaginaire collectif occidental, la charia est pourtant un concept bien plus vaste et complexe. Pour comprendre ce qu’elle représente pour plus d’un milliard de musulmans, il est essentiel d’en explorer les sources et les finalités.
1. Qu’est-ce que la charia ? Définition et Étymologie
Le mot arabe Shari’a signifie littéralement « le chemin qui mène à l’abreuvoir » ou « la voie ». Dans le contexte religieux, elle désigne la voie tracée par Dieu pour que l’être humain puisse mener une vie droite et harmonieuse.
Contrairement à une idée reçue, la charia n’est pas un code de loi figé et unique contenu dans un seul livre. C’est un ensemble de normes, de valeurs et de règles qui orientent tous les aspects de la vie d’un musulman :
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La relation avec le Divin (prière, jeûne, éthique spirituelle).
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La relation avec les autres (mariage, héritage, commerce, voisinage).
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La relation avec soi-même (hygiène, alimentation).
2. Les quatre sources fondamentales de la charia
Pour définir ce qui relève de la charia, les juristes musulmans s’appuient sur une méthodologie rigoureuse appelée Usul al-Fiqh. Les sources sont hiérarchisées comme suit :
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Le Coran : Considéré comme la parole de Dieu, il contient les principes éthiques et quelques règles juridiques précises.
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La Sunna : Les enseignements, actes et paroles du Prophète Muhammad (rassemblés dans les Hadiths), qui viennent préciser et illustrer le Coran.
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L’Ijma (Le Consensus) : L’accord unanime des savants et juristes sur une question donnée à une époque précise.
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Le Qiyas (L’Analogie) : Le raisonnement par déduction qui permet d’appliquer une règle existante à un cas nouveau (par exemple, l’interdiction de la drogue par analogie avec l’interdiction de l’alcool).
3. Les 5 grands objectifs de la charia (Maqasid)
Pour éviter une lecture purement littérale, les théologiens (comme Al-Ghazali ou Al-Shatibi) ont défini les Maqasid al-Sharia. Ce sont les finalités supérieures que toute règle doit servir. Si une interprétation nuit à ces principes, elle est considérée comme contraire à l’esprit de la charia :
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La préservation de la Religion (Al-Din) : Garantir la liberté de culte et la pratique spirituelle.
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La préservation de la Vie (Al-Nafs) : Protéger l’intégrité physique et la santé de chaque individu.
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La préservation de l’Intellect (Al-‘Aql) : Encourager l’éducation et interdire ce qui altère la raison (comme les stupéfiants).
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La préservation de la Lignée/Famille (Al-Nasl) : Protéger l’institution familiale et les droits des enfants.
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La préservation des Biens (Al-Mal) : Garantir le droit à la propriété et l’équité dans les transactions économiques.
4. La distinction entre Charia et Fiqh
C’est ici que réside la nuance la plus importante. Il faut distinguer la Charia du Fiqh :
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La Charia est considérée par les croyants comme divine, immuable et parfaite dans ses intentions globales.
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Le Fiqh (Jurisprudence) est l’effort humain pour interpréter la charia. Il est, par définition, faillible, contextuel et changeant selon les époques et les lieux. C’est le Fiqh qui produit les lois applicables dans les tribunaux, et non la charia directement.
5. Les catégories d’actions en Islam
La charia ne se limite pas au « permis » et à l' »interdit ». Elle classe les actions humaines en cinq catégories (Al-Ahkam al-Khamsa) :
| Catégorie | Signification | Exemple |
| Fard / Wajib | Obligatoire | Les cinq prières quotidiennes. |
| Mustahabb | Recommandé | Faire l’aumône au-delà de l’obligation. |
| Mubah | Neutre | Le choix de ses vêtements (dans la pudeur). |
| Makruh | Détestable | Le gaspillage de l’eau. |
| Haram | Interdit | Le vol, le meurtre, l’usure (Riba). |
6. Pourquoi le traitement médiatique (CNEWS, BFM TV) peut-il être trompeur ?
Il est fréquent d’entendre sur des chaînes comme CNEWS ou BFM TV des débats enflammés où la charia est présentée uniquement comme un code pénal barbare ou un projet politique de conquête. Cette approche relève souvent d’une simplification, voire d’une forme de désinformation par omission, pour plusieurs raisons :
Le prisme du sensationnalisme : Pour faire de l’audience, ces médias se focalisent presque exclusivement sur les Hudud (peines corporelles), qui représentent pourtant moins de 1 % des textes de la jurisprudence islamique. On occulte ainsi les 99 % restants qui traitent d’éthique, de spiritualité et de droits civils.
La confusion entre Charia et Fiqh : Les plateaux télévisés présentent souvent la charia comme un bloc monolithique et immuable. En réalité, ils confondent la « voie » (Charia) avec l’interprétation humaine (Fiqh), laquelle est diverse, sujette au débat et évolue selon les contextes géographiques et historiques.
L’absence d’experts théologiens : Le débat est souvent mené par des éditorialistes ou des politiques plutôt que par des historiens du droit ou des islamologues. Cela mène à une lecture décontextualisée des textes, ignorant les principes de justice et de bien-être social (Maqasid) qui sont pourtant le cœur de cette doctrine.
Conclusion
En résumé, la charia est bien plus qu’un système répressif ; c’est un cadre éthique et holistique. Si elle fait l’objet de nombreuses controverses, c’est souvent parce que des interprétations politiques modernes s’éloignent des finalités de protection (Maqasid) pour se concentrer uniquement sur des aspects restrictifs. Pour le juriste classique, la charia est avant tout une quête de justice et de bien-être pour la société.

